Renault en Russie,

conférence du 30 octobre 2025 de Boris Vinogradov

PHILIPPE CORNET

 

 

      À la FARG Boris Vinogradov[1] a présenté son ouvrage sur « Renault et la Russie, une épopée de plus d’un siècle », qui reprend sa thèse de doctorat en histoire soutenue le 15 janvier 2021 à la Sorbonne.

     Sa conférence est introduite par une vidéo de Louis Schweitzer (†), qui a préfacé son ouvrage et a présidé avec son directeur de thèse sa soutenance en 2021. L’ex-président de Renault fait part de son expérience de 10 ans du dossier russe. Par un trait d’humour qu’il résume d’une formule lapidaire : « On partait de zéro et on est arrivé à zéro. » Il souligne son attirance pour le pays et révèle que l’idée d’une voiture à 6000 $ lui est venue après la visite d’un garage Lada dans la banlieue de Moscou. Il termine son propos en notant que politique et entreprise se croisent toujours, mais qu’en Russie cela est extrême.

Après avoir remercié toutes les personnes et institutions qui lui ont permis d’écrire son ouvrage, dont Renault Histoire, Boris Vinogradov a présenté son livre.

Trois périodes ont marqué cette histoire : Renault chez les Tsars, l’époque soviétique et enfin la Russie aprés 1991

 

 

[1] Boris Vinogradov est chercheur à l'Université des sciences appliquées de Zurich (Zhaw). Son projet de recherche porte sur : « Soviet-Swiss trade relations in the period of the Cold War (1945-1991) », une étude visant l’analyse de la nature, de l’évolution et des objectifs du commerce helvétique soviétique, ainsi que des activités des acteurs impliqués dans le dialogue économique entre la Suisse et l’Union soviétique.

 

  1. La séquence historique par excellence est celle du début du XXe siècle.

Dès 1907, Renault participe au Salon de l’automobile de Saint-Pétersbourg. Et en 1915 crée une société de droit russe, Rousski Renault afin de construire deux usines, l’une à Petrograd et l’autre à Rybinsk. Des Renault étaient déjà présentes en Russie grâce à un importateur allemand : Fraser. Le parc automobile de l’empereur Nicolas II comportait des Renault, ce qui donnait du prestige à la marque.

               Salon de Saint-Pétersbourg 1907                                   Publicités Renault d'avant 1914

La seconde usine était destinée à produire des camions pour les besoins de l’armée. En 1917, l’aventure s’arrête net en raison de l’arrivée des soviets et de la nationalisation des actifs de Renault. Le différend juridique entre Louis Renault et la Russie ne trouvera son issue qu’en 1932. Notons que durant la guerre civile de 1917 à 1921 des chars FT 17 qui avaient été fournis aux armées blanches en Sibérie furent capturés par l’armée rouge et remotorisés et utilisés pendant cette guerre.

  1. Entre les années vingt et 1945, il n’y a aucune relation commerciale et industrielle. Après la guerre, la Russie doit reconstruire ses industries. Ce sont les Allemands qui contribuent le plus au titre des dommages de guerre : 108 entreprises allemandes sont transférées en Russie.   

Pour Renault l’absence de relations avec la Russie s’explique principalement par les bouleversements politiques et économiques consécutifs à la révolution bolchevique. La rupture de 1917 a entraîné des conséquences durables, tant sur le plan de l’industrie que sur le plan diplomatique, empêchant toute collaboration jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Durant cette période, l’Union soviétique s’est concentrée sur le développement de ses propres capacités industrielles, souvent en autarcie, et n’a pas favorisé les partenariats avec des sociétés étrangères comme Renault. Il faut attendre les années soixante pour voir s’amorcer des relations timides.

Renault met en œuvre une stratégie spécifique vis-à-vis de l’URSS :

  • signature de contrats de transfert technologique
  • vente d’équipements de production automobile
  • formation de techniciens soviétiques
  • échanges réguliers d’expertise industrielle.

 

 

 Visite de Nikita Khrouchtchev à l'usine de Flins, le 31 mars 1960

 

Renault devient un acteur clef du soft Power industriel français en Union soviétique. Le statut de régie nationale a facilité les contacts avec les autorités locales. C’était une entreprise contrôlée par l’État et qui offrait donc des garanties idéologiques aux Soviétiques. Le général de Gaulle propose au cours de son voyage officiel en 1966 que la France participe à la modernisation de l’industrie automobile russe. C’est à partir de cette époque que Renault participe à la modernisation de l’usine Moskvitch à Moscou. Dans le même temps, Renault contribue à la construction de deux usines à Oufa et Rybinsk, comme à l’usine de camions Kamaz.

En 1980, des machines à commandes numériques sont livrées à Moskvitch.

  1. L’enracinement de Renault en Russie postsoviétique de 1991 à 2022.

Après la chute de l’Union soviétique et l’apparition d’un nouveau régime politique, le marché s’ouvre par la fin du monopole d’État sur le commerce extérieur. Lors d’un voyage officiel du président Jacques Chirac à Moscou, Louis Schweitzer a pris contact avec le maire de Moscou, Youri Loujkov, ce qui a abouti à un accord en 1998 avec la création d’une société, Avtoframos, dans les locaux de l’usine Moskvitch, propriété de la mairie. Dès l’année 1999, l’entreprise Renault, établie en Russie, commencera à assembler des Renault 19, des Logan et des Clio Symbol (version tricorps produite en Turquie). Ce partenariat 50/50 se transformera en contrôle à 100 % de Renault en novembre 2012.

Louis Schweitzer en visite au bureau Renault à Moscou en 1999

Ce partenariat avec la mairie de Moscou a permis le développement à partir de 2008 de la modernisation de AvtoVAZ à Togliatti, puis à sa prise de contrôle en 2022 avec 67,7% du capital.

Le tournant AvtoVAZ 2007-2022

Devant le succès de la coopération avec Renault, les autorités russes demandent en 2008 à Renault de moderniser la plus grande entreprise du pays : AvtoVAZ, qui possède la marque Lada. Cela a permis de monter en gamme et d’améliorer la productivité de l’usine, qui est intégrée dans l’univers Renault. Le chemin a été parsemé d’embûches dues aux différences culturelles et plus graves stratégiques. En effet, fallait-il poursuivre avec les anciennes plateformes de l’entreprise ou adopter celles de Renault, ce qui fut finalement adopté.

Nous voyons sur ce graphique le succès des ventes dans le pays. Renault a su investir dans la Russie nouvelle, avec des perspectives très intéressantes, mais le contexte géopolitique a tout balayé, sans que l’on ait vu venir le séisme.